Drame alpestre au Schwalmere 2777 m
Lors d’une de mes excursions dans l’Oberland bernois, j’ai assisté depuis le sommet du Schwalmere à un spectacle grandiose, digne des plus grandes salles de représentation théâtrale. La météo était variable ce jour-là, au sud, de gros nuages recouvraient les sommets. Toutefois, un léger courant atmosphérique fit apparaître la Jungfrau, flanquée de son dôme étincelant, le Silberhorn.
Bien installé sur un coussin d’airelles, de silènes et de trèfle, à mon grand bonheur, la représentation put commencer…
«Emergeant des nuages, la Vierge (Jungfrau) habillée de son corset d’argent (Silberhorn) étincelle au soleil. Soudain, à l’est, une masse sombre menaçante apparaît lentement dans les nues, l’Ogre (Eiger)… va-t-il bouffer la fière et innocente créature ? Erreur, par l’effet de nouveaux courants, se dresse au centre, le Moine (Mönch), gardien de la vertueuse Vierge…»
Bon, cette description romantique peut sembler naïve à un esprit rationnel. Toutefois, nul doute que le fameux triptyque Eiger-Mönch-Jungfrau ait marqué les esprits des premiers habitants de la vallée qui, de ce fait, ont imaginés cette mythologie alpestre. Par la suite, ce paysage grandiose, à couper le souffle (dixit les prospectus), a largement été exploité pour attirer les touristes du monde entier, des premiers Anglais aux incontournables Japonais, Coréens, Chinois ou Indiens…
Dans toutes les montagnes du monde, ces « êtres » de roc et de glace, par le grondement des avalanches, le craquement des séracs ou le fracas des chutes de pierre, ont toujours inspiré aux autochtones une terreur superstitieuse. Là-haut, c’est le domaine des dieux ou des diables, bref, des forces surnaturelles qu’il vaut mieux ne pas provoquer. A ce propos relisons «La grande peur dans la montagne» de C.-F. Ramuz.
Pourtant, la plupart des sommets portent un nom plutôt débonnaire, qui, vus de la vallée évoquent leur aspect général: ainsi le MontBlanc, la Dent Blanche, le Rothorn ; pour d’autres le nom de personnages illustres : le Dom (Domheer : le chanoine Berchtold), le Scheuchzerhorn (celui d’un naturaliste) ou encore relatifs aux saisons ou aux heures du jour : la Lenzspitze (la pointe du printemps), le Morgenhorn (premier sommet éclairé par le soleil à l’aube), l’Abendberg (derrière laquelle disparaît le soleil le soir), etc…
D’autres ont des noms plus redoutables, liés à leur farouche aspect, comme par exemple le Schreckhorn (corne effrayante), fort heureusement, tapie en arrière de la gorge du glacier de Grindelwald, le Bös Fulen (méchant drôle), un tas branlant de caillasse dans les montagnes de Schwytz. Dans les Alpes vaudoises, Les Diablerets, où l’aspect relativement tranquille du versant N, contraste singulièrement avec le caractère ombrageux et totalement inquiétant du versant S, une haute falaise calcaire délitée. On dit que parfois, sur son rebord, le diable y joue aux quilles ! Les habitants du lieu se souviennent encore de Derborence, l’alpage englouti au 18ème siècle.
Parcourant nos montagnes, pour ne pas grimper « idiot » l’oeil rivé sur son GPS, il peut parfois être instructif de s’intéresser à la toponymie des sommets. Cette approche permettra de mieux connaître le vécu quotidien des habitants et leur façon originale de s’affranchir des menaces en nommant, de manière appropriée, les sommets dominants. Bien entendu, à l’ère de la mécanisation débridée, cette démarche peut sembler bien dérisoire. Quoique…
Pour ceux qui seraient intéressés par la représentation, les places au Schwalmere sont gratuites, pas de réservation et pas de pop-corn à l’entracte ! Le site est accessible en quelques heures de marche depuis le Kiental. Il est préférable de choisir une météo variable, avec de gros cumulus sur les crêtes de Alpes bernoises… Ceci est également possible depuis le Schilthorn, mais c’est moins romantique.
M. Bueche – culture et environnement